La propriété en droit français est une prérogative sacrée. Vous êtes propriétaire d’un bien immobilier : a priori, vous en conservez l’usus et le fructus jusqu’à ce que vous le transmettiez. Cela signifie que vous pouvez l’utiliser et en percevoir les fruits – revenus de la location, par exemple. Le Code civil admet plusieurs voies de transmission d’un bien immobilier : la succession, la donation entre vifs ou par testament, la cession à titre onéreux – vente. Mais attention ! L’article 712 du Code civil(1) prévoit un autre mode d’acquisition de la propriété : la prescription acquisitive ou usucapion. Vous pourriez ainsi être dépossédé de votre patrimoine sans y avoir préalablement consenti…
Prescription acquisitive : définition
L’article 2258 du Code civil énonce : « La prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »
En clair : une personne peut devenir propriétaire d’une chose alors même qu’elle ne possède aucun titre de propriété valable. Et peu importe qu’elle soit ou non de bonne foi. La seule possession de la chose, pendant un délai suffisant – 30 ans ou 10 ans – lui confère ainsi un droit de propriété. Et dépossède le propriétaire détenteur du titre. Les enjeux de ce mécanisme juridique de l’usucapion sont importants. Notamment lorsqu’un bien immobilier, dont la valeur est souvent élevée, est en jeu.
Exemple : le propriétaire d’un garage laisse son voisin s’en servir pendant plus de 30 ans. Sous conditions – voir ci-après – le voisin devient le propriétaire du garage.
Les conditions de l’usucapion
Pour déposséder un propriétaire immobilier, le possesseur du bien doit remplir plusieurs conditions.
- Posséder à titre de propriétaire. Il s’agit tout d’abord de se comporter comme le propriétaire du bien immobilier. Le possesseur doit ainsi entretenir le bien, payer les charges et taxes afférentes, réaliser les travaux nécessaires…
- De manière continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque. Les circonstances de la possession doivent laisser croire que le propriétaire initial a donné son bien de manière tacite. La possession doit durer plus qu’un an sans interruption, ne pas être obtenue par violence. Et le possesseur doit être considéré par les tiers comme le véritable propriétaire, sans aucun doute.
A noter : le possesseur est présumé posséder le bien immobilier de manière ininterrompue. Le propriétaire qui conteste la prescription acquisitive sur le fondement d’une possession discontinue ou interrompue doit lui-même prouver que la condition fait défaut.
Attention, tous les biens immobiliers ne peuvent pas changer de propriétaire sous l’effet de la prescription acquisitive. Sont exclus du champ d’application de l’usucapion :
- Les biens immobiliers qui se trouvent dans le domaine public.
- Les logements loués : le locataire sous contrat de bail ne peut se prévaloir de l’usucapion.
- Les logements détenus par les usufruitiers : lorsque le nu-propriétaire laisse l’usufruitier occuper le bien, en aucun cas ce dernier peut se prévaloir de la prescription acquisitive pour acquérir la pleine propriété. Cela permet notamment de protéger les héritiers dans le cadre d’une succession.
Prescription immobilière normale et abrégée : zoom sur les délais applicables
Le droit français consacre 2 types de prescription immobilière : la prescription normale et la prescription abrégée.
- La prescription immobilière normale s’acquiert après écoulement d’un délai de 30 ans. Exemple : le propriétaire d’un garage laisse son voisin s’en servir de manière continue, paisible, publique et non équivoque pendant plus de 30 ans. Au bout des 30 années de possession, le voisin devient le propriétaire du garage.
- La prescription abrégée s’acquiert après écoulement d’un délai de 10 ans. Ce régime s’applique lorsqu’une personne a acquis la propriété immobilière par un tiers non propriétaire – qui a usurpé son droit de propriété. Mais dans cette hypothèse, les conditions de l’usucapion sont différentes :
- Le possesseur détient un « juste titre ». Dans ce cas de figure, le possesseur est en mesure de prouver son titre de propriété en produisant un acte valable en apparence – acte de vente par exemple.
- Le possesseur est de bonne foi. La prescription acquisitive abrégée ne joue pas en faveur du possesseur qui savait qu’il traitait avec un tiers usurpateur du droit de propriété au moment de conclure la transmission. Attention : il incombe au véritable propriétaire immobilier de prouver la mauvaise foi.
Jurisprudence
En matière immobilière, tout bien peut être transmis par prescription acquisitive : maison, appartement, garage, terrain, immeuble… Les servitudes, également, peuvent faire l’objet d’une usucapion.
Exemples de dépossession sur le fondement de la prescription acquisitive
Exemples de prescription trentenaire :
- Une personne clôture une partie d’un terrain qui ne lui appartient pas. Et l’exploite pendant 30 ans sans que le propriétaire n’émette aucune objection. Cette personne peut alors demander à bénéficier des effets de la prescription immobilière. Le propriétaire foncier risque de se voir déposséder de cette partie de son terrain.
- Des copropriétaires aménagent des parties communes – toit terrasse, combles, cour commune – au vu et au su du syndicat de copropriété, pour leur propre usage. Ils entretiennent cet espace pendant 30 ans. Ils peuvent donc se prévaloir de la prescription acquisitive pour devenir propriétaire à titre privé.
- Le propriétaire d’un bâtiment dont le toit dépasse sur la parcelle cadastrale voisine pendant plus de 30 ans peut faire jouer la prescription acquisitive pour conserver cette partie de toit.
Exemples de prescription abrégée :
- La donation d’une cave par acte juridique dûment formé peut donner droit au bénéfice de la prescription immobilière abrégée au bout de 10 ans lorsque le donataire pensait contracter avec le véritable propriétaire.
- L’acquéreur en bonne et due forme d’un appartement peut devenir propriétaire alors que l’acte de vente a été signé avec un usurpateur du droit de propriété, même si l’acte ne fait pas l’objet d’une publicité foncière.
Les cas où la prescription acquisitive ne joue pas
Le droit de propriété demeure sacré. Et les juges n’hésitent pas à faire une interprétation restreinte des dispositions relatives à la prescription acquisitive.
Les servitudes, notamment, sont rarement admises au mécanisme de l’usucapion :
- La servitude, pour être prescrite, doit être continue et apparente. Dans ce contexte, la servitude de passage qui implique un usage discontinu du morceau de terrain ne peut être prescrite.
- La servitude d’écoulement des eaux usées, de même, ne s’acquiert pas par usucapion.
Il est rare qu’une servitude confère à son bénéficiaire un droit réel sur le bien immobilier.
Sont également exclues du bénéfice de la prescription acquisitive les possessions suivantes :
- Le « juste titre » de la prescription abrégée ne peut fonder une action en prescription acquisitive lorsqu’il comporte des vices de forme.
- Le « juste titre » ne vaut en outre que s’il est revêtu de la signature du titulaire apparent du droit de propriété. En effet, la fausse signature ne fonde pas une action en revendication.
- La personne qui jouit indument d’un appartement en exerçant des menaces sur le propriétaire ne peut en aucun cas se prétendre fondé à revendiquer un quelconque droit de propriété sur le logement.
- Le copropriétaire qui aménage clandestinement une partie commune ne peut se prévaloir d’une possession paisible, publique et non équivoque ouvrant droit aux effets de la prescription acquisitive.
Se prémunir contre la dépossession de son bien immobilier
Dans la mesure où l’usucapion se base sur l’écoulement du temps, il incombe au juste propriétaire du bien immobilier de manifester ses droits pour interrompre le jeu de la prescription acquisitive.
Les effets de la prescription acquisitive : procédure et titre
A défaut d’action du propriétaire pendant 10 ou 30 ans le possesseur peut faire valoir le mécanisme de l’usucapion.
Procédure : le possesseur ne peut automatiquement obtenir le titre de propriété du bien immobilier. Il doit ainsi faire valoir ses droits auprès du juge, preuves de sa possession conforme à l’appui. Les tribunaux jugent alors au cas par cas. Ils se basent sur la jurisprudence antérieure… Mais aussi sur un faisceau d’indices concordants pour attribuer la propriété du bien au possesseur.
Effets de la prescription acquisitive : à défaut de réunir les conditions, le possesseur se trouve dans l’obligation légale de restituer le bien immobilier. Si l’usucapion est caractérisée, au contraire, le nouveau propriétaire dispose du titre de propriété. Par effet rétroactif, il est en outre considéré comme avoir été propriétaire depuis le début de sa possession.
A noter : lorsque le possesseur a perçu des loyers sur un logement qu’il a lui-même mis en location, il peut les conserver à condition de prouver sa bonne foi. Et ce même si les juges ne lui accordent pas les bénéfices de la prescription acquisitive immobilière.
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